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La legendo del passaire de Mounhurt

Arts & Traditions Populaires de Marmande

Index de l'article

Traduction de R. GASTON

« La légende du passeur de Monheurt »

Garonne coule entre ses bords plus larges maintenant, en hiver, après les pluies. Elle roule ses eaux à plein bords, à gros bouillons. Son courant racle avec bruit les rives plantées d'osiers, d'aubiers, de peupliers, tellement épais que celui qui passe ici l'été à peine à voir bleuir de l'autre côté un étroit ruban d'eau. Mais aujourd'hui, comme on entend de loin sa grande voix, surtout la nuit, et comme elle se répand ! Elle s'en va grande, rasant les coteaux depuis Agen, grondant en son milieu et gémissant. Elle charrie tout ce qui se trouve sur ses rives : pailles, fagots de saules, tiges entremêlées. La bise secoue les cimes, hautes et nues. Partout au loin, la campagne et ces coteaux si beaux l'été, surtout celui de Nicole, Le Pech de Berre, sont nus aussi et tristes comme toujours en ce temps de Nivôse, comme on dit maintenant.

Ce n'est plus le mois de janvier.

Rien dans la nature nous dit ce qui peut se passer dans la société. Les saisons passent comme toujours, heureusement qu'ils n'ont pas pu y toucher. Nous autres pauvres bougres il faut bien faire comme on nous y oblige, nous ne comprenons guère ces mots qu'on nous force à dire sous peine de mort.

Ce qui est sûr, les champs sont plus que jamais laissés à l'abandon.

S'il n'y avait eu que le passeur de Monheurt pour travailler la terre, elle serait restée comme elle était. Pour lui, il n'y avait que l'eau, la pêche et plus que tout le tabac et l'eau de vie.

On ne savait guère d'où il venait parce que depuis quelques années qu'il était là, il avait peu fréquenté les gens d'ici, malgré qu'il les ait fait tous traverser. Sa femme et ses enfants allaient seuls au bourg vendre le poisson. Lui ne quittait guère l'endroit, fumant taciturne et songeur, assis sur quelque souche ou faisant des nasses, pièges, filets, tressant des osiers pour les « anguillères », les bourriches.

On disait bien qu'il avait couru les mers sur des navires sans pavillon, on comprend ce que cela voulait dire.

L'air salé de la mer avec creusé de grandes entailles cette face de cuir tanné embroussaillée d'une épaisse barbe brune. Ses yeux se cachaient sous d'épais sourcils. Son nez était aplati, ses lèvres épaisses et rasées. Jamais un frémissement de sourire n'y avait couru.

Les soirs d'hiver sa maison faite de pan de bois et de bambous laissait passer par sa fenêtre de rouges lueurs ; la cheminée ici ne chômait pas, bûches, troncs d'aubier, fagots flambaient. Dans le caquelon le poisson mijotait dans le vin, les oignons.

Aucun d'eux n'était en manque de nourriture et ils buvaient encore mieux, aussi bien la femme que les enfants. L'abondance régnait. Pour quelques poules, les bateaux qui s'arrêtaient ici assez souvent pour passer la nuit, donnaient en échange du vin et de l'eau de vie à plein barillets. Ces nuits, c'était la nouba. Celui qui aurait demandé à traverser l'eau à ces heures-là aurait été mal inspiré.

Hélas ! Combien y en avait-il pourtant qui ne pouvaient passer que de nuit ! Il en était ainsi depuis deux ans.

Aussi, une nuit de ce mois de Nivôse, Matelot la Montagne ne fut pas du tout surpris quand, après son premier sommeil, il s'entendit appeler de l'autre côté de l'eau.

Allez, encore un dit-il en se levant.

Il attrape sa perche, pousse son « gabarrot », le froid pique, il gèle dur. Il jure, bougonne car la bise lui coupe les joues. La nuit est triste et brumeuse. Il a assez de peine à mener son bateau ; il lutte contre le courant ; avec l'épaule, il pousse sur la perche qui à la fin s'accroche à une souche d'aubier, il tire dur pour se maintenir. Alors, il voit monter de derrière la matte une ombre qui marchait vers lui : on ne voyait qu'une cape et un grand chapeau.

Il ne fut pas du tout surpris.

Sous ce chapeau luisaient deux yeux. Sous la cape dont un pan était rejeté sur l'épaule gauche on voyait pendre une sacoche et le bras droit semblait serrer quelque chose sur le cœur.

Celui-ci, c'est un curé, se dit-il.

C'en était un.

Il les croyait tous partis, voici qu'il en reste encore de ces bonhommes.

Hélas ! Grand nombre de ces suspects étaient venus jusqu'ici de delà les coteaux, du haut des bords du Lot pour passer l'eau, pour gagner depuis ici le Queyran, les Landes, le Marensin, l'Espagne...

Ah les malheureux, s'ils avaient vu le rire du passeur quand ils rentraient dans le gabarrot ! Ils en auraient tremblé, baignés par des sueurs froides.

Le prêtre rentre d'un pied assuré dans le bateau. Il semblait bien bâti, il avait bel air.  Il passe à l'arrière.

Comme il levait les yeux au ciel, dans ce ciel tout brumeux maintenant, il pousse un soupir de satisfaction.  Sur ses lèvres semblaient monter de doux remerciements à Dieu. Hélas ! Malgré la malédiction, les fléaux de ce temps, dans quelques moments il allait joindre la terre au ciel, faire descendre encore le Fils de Dieu sur l'autel. Berger du grand Maître, son troupeau dispersé va venir à ses pieds. Il portait avec lui le pain mystérieux, le pain des forts qui donnait cette secrète ardeur à ceux qui montaient sur l'échafaud verser leur sang pour la foi.

Une grange, quelque fournil peut-être, qui sait, allait le recevoir, et là, tous transis de peur, combien seront-ils à s'agenouiller sur la terre nue pour adorer Dieu, chassé de partout sauf des grands cœurs.  Il y en a qui feront bénir leur mariage, d'autres, de jeunes mères, offriront leurs petits à l'eau sainte.

Ils sortiront tous de là discrètement, les uns après les autres, sans lanterne. Plutôt en rasant les haies, dans les petits chemins qu'ailleurs.

Malgré tout ça, la joie les étreindra. Un même frisson secouera tous ces cœurs. Des larmes perleront dans tous ces yeux. Ah ! Si les chants pouvaient monter, si le « Parce Domine » pouvait encore se faire entendre comme ils l'entonneraient tous ! Mais il faut le silence, qui sait si personne n'est aux écoutes !

Et le prêtre songeait aux mourants, aux pauvres vieillards qui l'attendaient, ils ne voulaient pas partir dans le péché.

Mais Matelot-la-Montagne ne se hâtait pas à quitter la passe, le curé n'y prêtait pas attention, toujours les yeux au ciel et songeur à la grandeur de son ministère pour lequel il avait tout affronté depuis deux ans.

Il s'était assis mettant sa sacoche à ses pieds.

Le gabarrot dansait, de droite, de gauche, à chaque coup de godille. Il y avait quelque chose d'étrange dans ces mouvements. Le Matelot  utilisait sa force; mais comme il était au milieu de la rivière, il laissa l'aviron. Jambes écartées, il pesa de tout son poids à droite, à gauche, et, prenant son élan, il poussa le prêtre par les épaules dans l'eau qui s'ouvrit et se ferma avec un grand remous. Mais aussitôt le prêtre remonte, écartant ses bras sur l'eau, les yeux écarquillés, la bouche ouverte : « grâce, disait-il, pour tous les pauvres pêcheurs qui m'espèrent, grâce »

Le Matelot qui veillait le frappe au front  d'un coup de perche. La boîte où étaient les hosties s'était ouverte et on les voyait sur l'eau blanches et rondes : « Tiens, voilà pour toi et pour ton Dieu ! » et le passeur frappait.

L'eau tout autour avait la couleur du sang.

Il faut croire que le diable lui donnait des forces car il fut maintenant vite à terre, la sacoche à la main.

Qu'est-ce que cela, se dit-il, en prenant le calice, le ciboire et d'autres choses qu'il y avait en argent ou vermeil ?

Arrivé chez lui, il frotta la pierre, alluma la chandelle et se versa un grand verre d'eau de vie : « à la tienne curé ! »

Si quelqu'un avait des écus de six livres, des louis d'or de vingt-quatre ou quarante huit livres, c'était bien le Matelot. Il  pouvait les montrer. Rien ne manquait dans la maison, mais peu de monde allait y regarder, à part quelques uns comme lui car il était craint par tous et écouté au district. Cette terrible et sanguinolente année de quatre-vingt-treize s'achevait sans qu'aucune journée ne puisse apporter quelques lueurs d'espoir dans les cœurs terrorisés. Les gens ne savaient pas comment ils vivaient. Les idées étaient perdues en ces temps troublés sans dimanches. Cette décade qu'il fallait chômer sous peine de mort, ne disait rien à leur âme et ils ne savaient comment la passer. La France baigne dans le sang, on a décapité le Roi. Qui donc pourrait dire ce qui sortira de tout ça !

Pendant ce temps, Matelot n'arrêtait pas de boire, il était plus taciturne, plus rustre que jamais. Ce qu'on disait de lui dans le creux de l'oreille faisait courir des frissons. On voyait que quelque chose le tracassait. La nuit, on entendait souvent des bruits d'ustensiles autour de la maison. Les couteaux pointaient. Ce qu'on aurait pu entendre aurait fait quiller les cheveux raides sur la tête et glacer le cœur.

Sans savoir, parfois, dans la nuit, Matelot se levait, allait à ses bateaux : « On m'appelle ! »

Il traversait et rentrait navré, sans personne : « pourtant, j'ai entendu » disait-il.

Sa tête s'affaissait de plus en plus, il se recroquevillait, il ne dormait plus la nuit, il avait des sueurs, tremblait, se querellait : « Qu'est-ce que j'ai dit ? » questionnait-il sitôt qu'il se réveillait.

On était en plein cœur de l'hiver, le givre blanchissait la campagne, c'était les nuits de pleine lune. En comptant on aurait pu trouver qu'un an avait passé depuis que le curé appela le passeur. Cette nuit, on aurait été embarrassé pour dire ce qu'avait Matelot, mais sans raison dans son lit : « on m'appelle, on m'appelle, je te dis femme.

-Fada, tu es toujours chamboulé, dors il vaut mieux ».

Une force le pousse, comme si une main de fer le tirait par le collet. Il ne sait plus s'il dort ou s'il est éveillé. Il marche, saute dans le bateau. Il est épouvanté, son bateau va droit comme une flèche, il ne comprend rien, il se tient au milieu, la perche à la main. A la passe, il se prend dans une souche, ses yeux sont grands ouverts, ses cheveux sont dressés sur sa tête, ses dents claquent : « Si... si... vous... vou... lez... mon... ter ! ... »

La peur le saisit, il ne voit rien. Devant, les taillis de saules, les aubiers, les peupliers quillés comme des squelettes, tout cela gémit, se plaint sous le vent. La lune, de ses lueurs d'argent, inonde les coteaux, Garonne et ses rives. La gelée fait éclater les souches, et, comme il allait lâcher celle où il se tenait, il voit monter de derrière la digue un grand soleil d'or qu'un prêtre vêtu de blanc et d'or portait haut à bout de bras. On aurait dit la grande hostie. Toute une procession suivait.   Elle se dirige vers le bateau. Quelle file de gens ! Mais ils ne touchent pas terre, ils la rasent de leurs pieds. Le prêtre met le pied sur le bateau. Tous le suivent. Matelot se recule, ils avancent davantage. Il ne peut plus reculer, ils avancent encore : il y en a plein le bateau, l'eau affleure le bord. Il veut crier, sa langue ne peut remuer.

Il n'en manque aucun ; il les voit tous, il les connait tous ceux qui étaient entrés dans son bateau. Ils sont presque tous marqués au front de pus encore sanguinolent ; mais ces yeux n'y voient pas, ces bouchent ne s'ouvrent pas ; ils font la procession sur l'eau rougie ; ces ombres entourent le grand soleil d'or.

L'eau entre à grand force dans le gabarrot, il ne peut rien faire. Matelot se sent perdu : « Grace ! Grâce ! » crie-t-il, et le vent rapporte son cri. Garonne s'ouvre, un grand remous la referme.

Le matin dans un ilot en aval de Tonneins on trouvait un gabarrot chaviré dans les troncs de saules.

Où alla le corps du Matelot ? personne ne le sut jamais.


Maurice JORET  
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