Fernand Botet de LACAZE . Raymond COURREGES
Le Gascon serait-il un attardé, réfractaire au progrès, ou au contraire a-t-il toujours une longueur d’avance sur les autres ?
Un vif débat anime aujourd’hui le Pays des Lugues et l’Albret. Certains sont pour la construction d’une Ligne à Grande Vitesse pour faire circuler le TGV Bordeaux-Toulouse. D’autres, pour limiter la dépense, jugent plus raisonnable d’aménager la ligne existante. Le débat est ouvert, comme il l’était déjà en 1898 pour la construction de la ligne de chemin de fer Marmande-Mont de Marsan, ligne qui en son temps a également fait couler beaucoup d’encre !
Fernand Botet de Lacaze, un félibre Bouglonnais avait à l’époque rédigé une poésie lyrique pour s’insurger contre cette réalisation. Gràce à ce texte, il avait obtenu le 3ème prix lors de la séance des jeux floraux tenue en l’hôtel de la Préfecture le 7 août 1898 pour le centenaire de Jasmin. Les arguments présentés contre cette réalisation peuvent prêter à sourire et sembler quelques peu rétrogrades, mais pas tant que ça si on y réfléchit bien ! Ils sont déjà très écologiques pour l’époque et si l’on pense à ce qu’est devenue cette ligne de chemin de fer, aujourd’hui abandonnée, tout cela en valait-il la peine ? Fernand de Lacaze serait certainement heureux de savoir que l’on veut l’utiliser pour faire découvrir aux promeneurs et touristes tous les charmes de notre Gascogne en la transformant en piste cyclable et, quelque part, ce retournement des choses lui donne raison aujourd’hui.
Peut être avait-il peur à l’époque d’être taxé d’attardé, réfractaire au progrès, pour n’avoir pas signé son œuvre ! En effet sur le compte rendu officiel de la séance des Jeux Floraux, elle est signée X et attribuée à un anonyme de Casteljaloux (Lot et Garonne). Nous avons pu lui en restituer la paternité grâce à l’exemplaire de ce compte rendu ayant appartenu à Maurice Joret et qu’il avait annoté à la plume de sa main. Sous le X il avait rajouté le nom réel de l’auteur. Maurice Joret, félibre du Mas d’Agenais, avait lui-même obtenu le 2ème prix pour les contes en prose avec « lo passaïre de Mounhurt » (« le passeur de Monheurt ») et un certain Simin Palay[1] le premier prix chansons.
Au Rey Henry
per Fernand Botet de Lacaze
Rey Henry, tu que tant aimàus
Cassa per les lannes d’Alloun,
Serès esbarrit[2] se tournàus…
Tan d’aigue a passat au Cyroun !
Au loc d’entendo la cigalo
Que brouïuo[3] cabat lou pin,
Ausirès la neguo cabalo
Que rounclo[4] per deuant lo trin
Au céu sa negrouso humado
Porte lou dôu dou tens passat,
E le chiulet[5] de l’echantado
Ausets, Amous…a tout cassat
Praubos Amous, que per la branno[6]
Joguèues au cluc [7]dans lou rey,
Ats hugit e cabat la lanno
Lous galants n’y jogon pas mey.
Les meynados, que d’autos cops
Chan bergougno per la canilho[8],
N’auen pas que palho aus esclops…
An debas dinqua la tenilho.[9]
Lous baqueys soun pas mey tiancats[10]
Per acoussa las aulherotes ;
Lous chibaus soun pas mey dressats
Per les hemnos a camalotes[11].
Las bièlos[12] an quitat Alloun,
La tiabreto[13] s’es enracado[14]…
Dansen pas mey qu’au violon
Dansen ma mey la reculado.
Les droles mespreson lo prat ;
Per hèser tricota las camos
Lous y fau un ostau barrat
E migrassas coumo las damos.
Lous droullets conten pas sous dits,
Saben legi las escrituros !...
Trobent sous papés empéguits[15]
Qu’on s’arrisent de sas lecturas.
Lous gens son benguts trop pressats
Per eima las poulos bourridos…
Lous toupins soun desengrechats !
Mignon las poulardes roustidos.
S’assemblen pas cado dessey,
A la saisoun de la castagno ;
Lous poutouns ne tringlent pas mey
Praubo Lanusquet es a plagno
Lou bin blanc n’a pas mey de gout
N’en béuen pas que per las fiètos
Lou biel couquin de Piquepout
S’endrom , aganit den lous beyros,
Lous anciens n’auen pas lou trin
La billo èro mey alugnado…
Cadun seguibo soun camin ;
Cadun minguèbo sa cruchada.
An pres les modes dous billens[16].
Aus besins dingun ne se hiso[17].
Risent pas coumo d’ancien tens ;
Anèit n’an pas l’atse[18] de riso !
Rey Henry ! Core nous quittès
L’Amou se neguèt den l’Aouanço.
Den ta moustacho t’empourtès
Nosto riso a trauès Franço.
Semblo droumi toun Capchicot
Darrey la ledro[19] que lou sarro…
Droumis pas…ploure lou praubot,
Ploure soun Henry de Nabarro !
Fernand Botet de Lacaze
Au Roi Henry
Traduction de R GASTON
Roi Henry, toi qui aimais tant
Chasser par les landes d’Allons,
Tu serais bien étonné si tu revenais…
Tant d’eau a coulé au Ciron
Au lieu d’entendre la cigale
Qui stridule en haut du pin,
Tu entendrais la noire jument
Qui ronfle devant le train
Au ciel sa noire fumée
Porte le deuil du temps passé
Et le sifflet de l’ensorcelée,
Oiseaux, Amours …a tout cassé
Pauvres Amours, qui dans la bruyère
Jouaient à cache-cache avec le Roi
Vous avez fui et à travers la lande
Les galants ont fini d’y jouer.
Les jeunes filles qui autrefois
Sans honte par la canicule
N’avaient que de la paille dans leurs sabots
Ont des tabliers jusqu’à la cheville.
Les bergers ne sont plus sur leurs échasses
Pour poursuivre les agnelles
Les chevaux ne sont plus dressé
Pour porter les femmes en amazone
Les vielles ont quitté Allons
La chabrette s’est enrouée
Ils ne dansent plus qu’au violon
Et ne dansent plus la reculade.
Les garçons méprisent le pré
Pour faire tricoter leurs jambes
Ils leur faut une maison close
Et des manières comme les Dames
Les enfants ne comptent pas sur les doigts
Ils savent lire les écritures
Ils trouvent leutrs papiers accrochés
Pour qu’on se moque de leurs lectures
Les gens sont devenus trop pressés
Pour aimer les poules bouillies
Les marmites sont dégraissées
Ils mangent des poules rôties.
Ils ne se rassemblent plus chaque soir
Ala saison de la châtaigne
Les baisers ne claquent plus
Pauvre Landais tu es à plaindre.
Le vin blanc n’a plus de goût
Ils n’en boivent plus que pour les foires
Le vieux coquin de Piquepoult
S’endort…abandonné dans son verre.
Les anciens n’avaient pas le train
La ville était plus lointaine
Chacun suivait son chemin
Chacun mangeait sa cruchade
Ils ont pris les modes des gens des villes
A leurs voisins personne ne se fie
Ils ne rient pas comme autrefois
Aujourd’hui ils n’ont plus le temps de rire
Roi Henry ! Quand tu nous quittas
L’amour se noya dans l’Avance
Dans ta moustache tu emportas
Notre rire à travers la France
Ton Capchicot semble dormir
Derrière le lierre qui l’enserre
Il ne dort pas…il pleure le pauvret
Il pleure son Henri de Navarre.
On peut se demander pourquoi Fernand de Lacaze en réfère à Henri IV pour dénoncer un progrès qu’il juge dévastateur ? Peut-être que le bon Roi et son aura dans la mémoire collective lui donnent encore, plusieurs siècles après sa mort, le pouvoir de caution pour défendre sa cause et sa bucolique Gascogne : « ne vous ralliez pas à son panache noir » aurait-il pu lui suggérer !
Témoignage : Ginette COUTOU[20] d’Argenton se souvient !
« En 1887, mon grand père était à l’époque âgé de quinze ans et il a travaillé à la construction de la ligne de chemin de fer Marmande-Mont de Marsan. En 1945, j’ai emprunté cette ligne et pris le wagon voyageur pour me rendre à Captieux. Une demi-journée pour aller de la gare du Clavier à celle de Bouriot-Bergonce. La ligne a été remplacée par un car qui assurait la liaison Marmande-Mont de Marsan, le train de marchandise continuait à circuler. En 1952 un wagon voyageur fut remis en service du Clavier à Marmande pendant le temps des inondations et pendant la crue de 1981 une micheline assura le service de Samazan à Marmande ».
Ginette se souvient également que son grand père lui avait raconté, qu’en 1827, la compagnie bordelaise mettait en service un bateau à vapeur entre Marmande et Bordeaux. En 1834 on installait le télégraphe aérien à Beyssac et en 1855 c’était l’arrivée du premier train à Marmande. La concurrence était rude au niveau des transports entre le chemin de fer et le canal latéral à la Garonne dont les travaux furent ralentis par l’arrivée du train qui très vite concurença la péniche. »
Ce train était surtout mal vu des gros propriétaires terriens dont il devait traverser les terres. Rien n’a changé aujourd’hui, le progrès oui, mais chez les autres ! Si certains comme Fernand de Lacaze se sont insurgés contre cette « noire jument qui ronfle devant le train », cela n’est pas sans rappeler les indiens d’Amérique qui s’insurgeaient contre le passage du « cheval de feu », d’autres ont vénéré ce nouveau moyen de transport. C’est le cas de Raymond Courrèges, archiprêtre de Bouglon qui le 25 juillet 1923 lui a dédié un sonnet (en français):
Le train des Landes.
sonnet, par Raymond Courrèges, archiprêtre de Bouglon.
Du haut de Barbaret, on voit, chaque matin,
Deux convois ambulants traîner leurs six voitures
Sur double rail d’acier, glissant à douce allure
Disparaître aussitôt dans la lande sans fin.
Du coteau de Bouglon jusques au Marensin,
Cruellement meurtris de profondes blessures
Avec leurs fûts rugueux et leurs maigres ramures
Durant le jour entier courent les troncs de pins.
La fougère à leur pied, forme une verte plinthe
Dans leur panache clair transparait le ciel bleu.
Le serpolet, le thym, l’ajonc, le térébinthe
Distillent leurs parfums sous un soleil de feu.
Le voyageur bercé d’un roulis régulier,
Parcours du Nord au Sud le massif forestier.
Raymond Courrèges.
(Texte manuscrit de l’auteur aimablement communiqué par Jeanine Bourriague de Bouglon)
Pratiquement de Bouglon à Mont de Marsan où menait cette voie ferrée ce n’étaient que pins qui défilaient devant les yeux des voyageurs. N’oublions pas que Casteljaloux est encore appelée aujourd’hui la « Porte des Landes ». Le train a disparu ainsi que les profondes blessures dues au gemmage pour recueillir la térébinthe, restent quand même les parfums de la lande…
- [1]Simin Palay, (de Vic-Bigorre) bien connu des occitanophones pour être l’auteur d’un dictionnaire occitan-français qui fait encore référence aujourd’hui.
- [2]Esbarrit ici très étonné. S’emploi aussi pour qualifier quelqu’un de très éveillé ; Aqueth dròlle es plan esbarrit
- [3]Brouïno o brounsino s’emploi surtout pour les abeilles, bourdons. Ils bourdonnent
- [4]Rounclo : ronfle ou souffle renâcle pour se rapporter à l’image du cheval
- [5]Chiulet : sifflet
- [6]Branno : bruyère
- [7]Jogar au cluc : jouer à cache-cache.
- [8]La canillho o lo caumas, la forte chaleur, la canicule.
- [9]Tenilho o calhiva : cheville
- [10]Tiancats : montés sur leurs échasses ; Tiancas : échasses
- [11]A camalotes : façon de monter à cheval des dames : en amazone
- [12]Bielos : vielles instrument de musique
- [13]Tiabreto : chabrette. Dans les landes il s’agit plutôt de la boha : la cornemuse landaise.
- [14]Enracado : enrouée
- [15]Empeguits encollés. On encollait les écrits avec fautes de patois dans le dos des écoliers pour se moquer d’eux. Pegar : coller
- [16]Lous billens : les gens de la ville
- [17]Se hisar : se fier, avoir confiance.
- [18]N’an pas l’atse : n’ont pas le temps, l’occasion de rire
- [19]Ledro : Capchicot est recouvert de lierre
- [20]Ginette Coutou a été pendant de nombreuses années la cantinière de l’école d’Argenton