Exemple de conte populaire de Gascogne collecté dans le Marmandais

Pour Jean de La Fontaine, « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Dans les contes gascons, c'est souvent le contraire. Le plus petit, par sa bravoure et sa malice, arrive toujours à vaincre plus fort que lui.

Il est un conte populaire très répandu dans toute la Gascogne où une bête minuscule vient à bout d'une bête énorme ou réputée très féroce. Souvent, la petite bête est un grillon, insecte sympathique qui égaie nos champs par ses stridulations nocturnes en été ou nos foyers en hiver (grillon champêtre dans le premier cas, grillon domestique dans le second). La grosse bête est le plus souvent un loup, animal qui tient une grande place dans les contes populaires ; plus rarement il s'agit d'un lion, roi des animaux, réputé très féroce.

Le conte collecté au Mas d'Agenais auprès de René Vacqué met en scène un grillon et un loup. Ce conte est revisité par son auteur et mis à la « sauce locale ». Ce n'est plus «Le grillon et le loup » mais «Le petit grillon du Mas » (lou grillot d'aou Mas) qui devient dans la version française de l'auteur : « La légende de la forêt du Mas ».

 

« Lou grillot  d'aou Mas » de René Vacqué ou « La légende de la forêt du Mas d'Agenais »

René Vacqué. ne s'embarrasse pas avec la graphie. Il écrit phonétiquement. Je l'ai écouté raconter son histoire ce qui m'a permis de l'écrire en parlé marmandais. Quelques mots francisés ou carrément en français sont là pour la rime. Il a lui-même écrit une version française de «  Lou grillot d'aou Mas » qui devient « La légende de la forêt du Mas » qui n'est pas une traduction mot pour mot mais bien une autre version française.

« Lou grilhòt d'aou Mas »

Tot aquò se passèt i a disèm longtemps
Noste bosc s'aperèbe « lo bosc de sin Vinsen »
Per y este buscassièr[1] falèva de coratge
Trabucavem a tengut [2]end' bestias sauvatjas
Ne sabetz pas coma nos sèm desbarrassats
D'aqueras meishantas bestias
Escotatz un moment que vau vos  ac contar
Un tot petit grilhòt vivèva bien tranquille
Ere aici bien urós dab tota sa familha
En estent per cadun sens nat anujement[3]
Un còp passèt un lop, de trista renomada
Magre a vos èser paur, tot chapat de pelada[4]
Et la bestia afamada, ven juste se cochar
Sus l'ostau d'au grilhòt, manquèt li desruiar[5]
Se vos plai, mossur lo lop  vos posseretz un pauc
Que sètz juste au dessús de mon petit ostau
La hemna ni vei  « plus » per hèser la cosina
E los dròlles se'n van à l'escola vesia
Que venes m'anujar  praube petit morpion
E que as a te  ventar d'aver una maison
Aquò ne's pas normal que sisques à cobèrt
Jo  cosi au sorelh et y torri en hivèrn
Sabes pas praube pèc, que d'un còp des cachau[6]
Jou poiri t'enviar tot dret à l'espitau
E avant de partir, que lu diable l'emporta
Aqueth salòp de lop l'i pishèt sus la porta !
Patient noste grilhòt suportèt sa misèra
Mes lo carcan de lop cercava a mau  hèser
E ne se passèt pas un jorn de tot un an
Que n'hesquèt au grilhòt quaucomet de meishant !
Tant qu'un jorn lo petit n'en petèt de colèra
Tant pis per tu, lo lop, te declari la guèrra
D'aici a quate jorns dens lo grand prat d'au nòrd
Lo combat deishera[7] o l'un o l'aute mòrt
Bien anujat, lo lop apèra a la « rescousse »
Lions, tigres, pantèras, venetz, mes venetz tots
De son bòr, lo grilhot, de son shiulet[8] pontchut
Apèra abelhas, guèspas et borsalons[9] borruts !
Lo combat se desclancha e au sourelh levat
Lo lop e sos amics  s'escapan en gulant
Los flancs escarraunhats[10], las gulas tot enfladas
Ataquats de pertot pr l'armada envolada
D'aqueth jorn mos amics, que podèm passejar
Capvath lo bosc d'au Mas, sens i trebuquejar
Ni lions, ni tigres et ni pantèras
Juste un petit grilhòt que canta devath  terra.

René Vacqué, Mas d'Agenais,  mai 1961.

« La légende de la forêt du Mas d'Agenais »

Cette histoire se passa, oh ! il y a bien longtemps.
La forêt s'appelait le bois de Saint Vincent[11]
Aller s'y promener n'était pas sans dommages
Car elle était peuplée de bêtes fort sauvages
Ne cherchez pas comment on s'est débarassé
De ces indésirables... je vais vous le conter
Un tout petit grillon passait sa vie tranquille
À l'orée du bois Saint Vincent
Sa femme et lui élevaient une famille
Connus dans le quartier pour des voisins charmants.
Un jour survint un loup de triste renommée,
Maigre à vous faire peur, à la toison pelée,
Cette bête, affamée, vint alors se coucher,
Sur le toit du grillon ! Tout faillit s'écrouler
S'il vous plait monsieur loup, vous seriez vraiment bon
De dégager un peu le toit de ma maison !
Ma femme n'y voit plus pour faire la cuisie
Et les enfants s'en vont à l'école voisine.
Que viens-tu m'embêter pauvre petit morpion
Et pourquoi te vanter d'avoir une maison !
Cela n'est pas normal que tu sois à couvert
Moi qui cuis au soleil et qui gèle en hiver
Ne sais-tu pas, microbe, que d'un seul coup de dent
Je pourrais t'envoyer rejoindre le néant !
Et avant de partir, que le diable l'emporte,
Ce grand cochon de loup lui pissa sur la porte !
Patient, notre grillon supporta sa misère
Mais ce carcan de loup s'ingéniait à mal faire
Et ne se passa pas un seul jour de l'année
Qu'il ne fit au grillon quelque méchanceté !
À la fin, le petit éclata de colère
Et s'adressant au loup lui déclara la guerre !
D'ici à quatre jours, dans le grand pré du nord
Un combat sans merci règlera notre sort.
Bien ennuyé le loup appelle à la rescousse
Lions, tigres, panthères : venez, mais venez tous !
De son sifflet aigu, notre grillon réveille
Ses cousins les frelons, les guêpes et les abeilles
Le loup et ses amis s'enfuyaient en hurlant
Les flancs ensanglantés, la gueule tout enflée
Des vaillants aiguillons de l'armée envolée !
De ce jour mes amis, vous pouvez traverser
Notre belle forêt sans risque d'y croiser
Ni loups ni lions ni tigres ni panthères
Seul un petit grillon qui chante sous la terre.

René Vacqué, Mas d'Agenais, mai 1961

Ceci n'est pas une traduction littérale mais véritablement une version nouvelle en français. Bien sûr, on retrouve toute la trame de l'histoire, mais les expressions typiquement gasconnes et donc intraduisibles sauf explication alambiquée ont disparues.


  • [1] Buscassièr : bûcheron
  • [2] Trabucavem a tengut : trébuchaient comme pris dans un piège. Téner : tendre, prendre au lacet
  • [3] Sens nat anujement : il s'entendait bien avec tout le monde
  • [4] Tot chapat de pelada : tout « mangé » par la pelade
  • [5] desruiar : détruire
  • [6] Cachau : dent
  • [7] Deishera : laissera. Deishar : laisser
  • [8] Shiulet : sifflet
  • [9] Borsalons : frelons
  • [10] Escarraunhats: griffés, écorchés
  • [11] Saint Vincent, patron du Mas d'Agenais. La collégiale Saint Vincent, l'église du village, renferme un trésor : « le Christ en croix », toile de Rembrandt

René Vacqué explique par cette histoire pourquoi l'on peut, depuis lors, traverser la forêt du Mas sans danger d'y croiser ni loups, ni lions, ni tigres, ni panthères, seul un petit grillon qui chante sous la terre.

Pour donner une connotation vraisemblable, les contes de Gascogne expliquent le pourquoi d'une situation bien réelle. Dans le conte qui nous intéresse, c'est pourquoi il n'y a plus de bêtes féroces dans la forêt du Mas d'Agenais. Dans « La cigala e lo cocut » (la cigale et le coucou), un autre conte populaire très répandu, on explique pourquoi les coucous sont les premiers oiseaux migrateurs à partir en plein été et pourquoi ils partent dès que les cigales arrivent.

Voici donc pourquoi vous pouvez vous promener sans danger dans la forêt du Mas.

 

 

 

 

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